Réponse à Majid Oukacha : Comment faire face à la tentation Islamophobe

Majid Oukacha est un auteur, bloggeur et vidéaste Français de 36 ans. En 2017, il sortait son premier livre « Il était une foi, L’Islam » paru aux éditions Tatamis où il s’adonnait à déconstruire ce qu’il considère être l’Islam, démarrant sa médiatisation.

Depuis 2015 il anime une chaîne Youtube où il critique régulièrement les préceptes de l’Islam et les autres personnalités musulmanes et est régulièrement invité dans les plateaux télés.

Sa démarche et le récit de son abandon de la foi Islamique semblent sincères, il est difficile pour ses détracteurs de l’accuser d’appartenir à un quelconque lobby bien que son obstination à ne parler que de l’Islam peut en déranger plus d’un et sembler suspect.

Si à certains égards son argumentaire est cohérent, la réalité est que, pour reprendre la phraséologie de Mohammed Sifaoui, il utilise une approche souvent littéraliste comme le font les salafistes et son approche manque de globalité et d’appréciation de l’évolution temporelle de l’Islam, témoignant d’une vison rigide et teintée d’amertume.

Bien que son expérience d’un Islam froid est réel et même si ses critiques peuvent être parfois légitimes, ses approches sont fortement similaires à celles des auteurs Islamophobes qui aiment à amalgamer l’Islam au salafo-wahhabisme.

Pour rappel, cette tradition d’amalgamation nous provient des travaux de Bernard Lewis et de Samuel Huntington, pères fondateurs de la théorie du choc des civilisations et de leur cohorte de penseurs d’extrême-droite dans le monde Occidental.

Même si lors d’un débat à TV libertés il se défendait de vouloir amener de l’hostilité envers les Musulmans, il défend tout de même son droit à être « Islamophobe » dans le sens qu’il se réserve le droit de mépriser l’Islam dans sa dimension doctrinaire en tant que libre penseur. Il y expliquait ne pas vouloir faire d’amalgames entre musulmans ordinaires et terroristes mais selon lui Islam et Islamisme vont de pair. Hors, il devrait être conscient que ses propos ne peuvent que nuire à l’image des personnes se disant musulmanes.

Mais revenons aux fondements de sa critique.

Comme la majorité des commentateurs Islamophobes, il part de l’idée que le salafo-wahhabisme et le qutbisme (pensée de l’extremiste Said Qutb) sont l’autorité majeure du monde musulman. Si ces courants de pensées ont une influence non négligeables sur les esprits des musulmans, les siècles d’Islam Orthodoxes et Soufis n’ont pas perdu leur marque sur la philosophie et la pratique des adeptes de cette religion.

L’utilisation de versets sortis de leurs contexte est la seconde marque de fabrique de son analyse et il ne semble pas avoir porté son intérêt sur le corpus de fiqh (jurisprudence) et les tafsirs(exégèses) Coraniques qui ont été compilés sur des siècles.

L’exploitation de la faille de l’abrogation est également un de ses moyens préférés (NdA : l’abrogation est l’annulation d’un verset par un autre, cette doctrine a rencontré des résistances théologiques et avait pour but de légitimer des politiques).

En outre sa focalisation sur un certain passé ou époque de l’histoire musulmane biaise son jugement ainsi que celui du lecteur : nous ne sommes plus au Moyen-Âge et l’Islam a vécu plusieurs évolutions doctrinaires. Se référant aux Hadith sur le traitement des apostats, il nous ouvre les yeux sur des erreurs et des drames de l’Histoire Musulmane comme le meurtre du petit-fils du prophète Muhammed, Hazrat Hussein et de plusieurs compagnons du prophète par le clan Omeyyade. Après leur morts plusieurs Hadith furent fabriqués et certains comme celui-ci ont atteint le rang de sahih (authentique) malgré le filtrage minutieux de Boukhari au IXe siècle. Ce sont ce genre de Hadith qui légitiment les Coranistes radicaux, en effet la Sourate 4 An-Nisa, verset 137 qui stipule : « Certes ceux qui ont cru, puis sont devenus mécréants, puis ont cru de nouveau, ensuite sont redevenus mécréants, et n’ont fait que croître en mécréance, Allah ne leur pardonnera pas, ni les guidera vers la Voie », l’apostasie peut donc se faire sans châtiment mortel. Et même si ces Hadiths sont d’actualité dans certaines zones géographiques, ils sont loin d’être appliqués unanimement.

Cette référence au traitement des apostats nous ouvre les yeux sur une grande ambiguïté de l’Islam Orthodoxe Sunnite comme Chiite : la prégnance des Hadith sur le texte Coranique.

Un autre argument qu’il utilise régulièrement est le détournement par à la fois les Califes de leur temps et les salafistes des versets traitant des châtiments corporels, ainsi la Sourate 5 Al Maidah, verset 38 qui était destinée à limiter les abus des dirigeants abusifs est devenu un verset légitimant l’amputation des main de quiconque commet un vol, sans contexte expliqué. Quant à la Sourate 24 An-Nur, verset 2, le Dr Moreno Al Ajami, Docteur en Littérature et langue arabes, Islamologue, Théologien et spécialiste de l’exégèse du Coran, insiste qu’il n’a jamais sensé mettre en législation la flagellation comme loi intangible contre ceux qui commettent l’adultère et la fornication mais pour redresser des mœurs dépravées au moment du ministère du Prophète Muhammed. Bien évidemment, une cohorte de Hadith et législations Califales allaient contredire le message initial.

Les peines corporelles ont régulièrement été ajustées au cours l’histoire du Monde Musulman, ainsi le Sultan Suleyman (Soliman le Magnifique) a commuté plusieurs peines en amendes et l’Islam Alévi, bien que pratiquant l’excommunication et l’opprobre public, n’a jamais été partisan de peines aussi dégradantes, le monde Chiite cependant semble avoir été longtemps rude sur ces pratiques.

Reprenant les versets du Coran semblant rudes avec les « mécréants », il oublie que le Prophète Muhammed a prêché dans des communautés sans foi ni loi et donc criminels, à l’heure ces mécréants sont légions et peuvent même se cacher hypocritement derrière une façade religieuse les rendant encore plus dangereux. Les versets peu nombreux appelant à la guerre contre les non musulmans éclipsent ceux qui demande bon comportement envers eux et sont, pour ne pas changer la tradition de détournement de sens, sortis de leur contexte. En effet ces versets ne concernent que les cas de trahison en temps de paix par des personnes antimoraux et sont plus un appel à l’autodéfense.

Le credo universaliste de l’Islam est ainsi repris par de grands Soufis comme Hadji Bektash Veli qui disait : « Peu importe leur religion, leur langue ou leur couleur, les bons sont les bons ».

Avançant que l’Islam est foncièrement patriarcal, c’est un constat qui mérite d’être contrasté : L’Islam était un moteur de progrès dans un monde qui l’était à l’excès. Ainsi, l’enterrement des bébés filles a été aboli, à l’époque du Prophète Muhammed, les femmes et les hommes se cotoyaient lors la prière collective et le Calife Omar a aboli le mariage temporaire (de jouissance). Ali ibn Abu Talib, gendre du Prophète et quatrième et dernier Calife Orthodoxe avait également œuvré pour la condition de la femme, mais les différentes tragédies Musulmanes (meurtres et attentats) ont conduit à une perte d’autorité évolutive, en effet le Coran est le témoin des évolutions progressives que le prophète Muhammed allait apporter et souhaitait pour sa communauté à travers ses successeurs. Majid Oukacha critique abondamment le port du voile comme symbole de soumission alors que dans une société viciée, cela a apporté sécurité, ce commandement est universel et est d’actualité dans le monde entier à l’heure de l’hypersexualisation de la société sans oublier que les débats sur sa forme, couleur et obligation irrévocable se perpétuent. Avançant l’argument que les fillettes doivent être voilées, la pertinence est certes là mais est limitée car l’unanimité du monde Musulman ne s’est pas mis d’accord sur l’âge auquel le voile doit être mis et des pays Musulmans comme ceux du Maghreb ou au Liban et en Turquie sont plus libéraux sur cette question.

Concernant la nature expansionniste de l’Islam (djihadiste), il ne fait que reprendre les théories de l’extrême droite Mondiale qui elle-même s’appuie sur le comportement de dirigeants peu scrupuleux Médiévaux comme Modernes qui ont violés les préceptes de la foi Musulmane et détourné les commandement initiaux.

Toujours dans une méthodologie opportuniste, il avance des Sourates qui légitimeraient selon lui l’esclavage et les abus sexuels. Bien évidemment il omettra ceux comme la Sourate 2 Al Baqara verset 177 qui encouragent à l’émancipation des esclaves et la Sourate 4 verset 24-25 au mariage pieu avec ces esclaves, une vie n’ayant pu permettre au Prophète Muhammed d’éliminer cette pratique des mœurs de son époque et de son peuple. Si ces pratiques se sont perpétuées durant des siècles, la cause est à rechercher chez des dirigeants peu scrupuleux et hypocrites ainsi que dans les drames sanglants qui ont secoué le Monde Musulman. Une parole attribuée à Ali ibn Abu Talib explicite que « Comme Dieu t’a crée libre, ne sois pas esclave d’un autre» et la Sourate 49 Al Hujarat verset 13 stipule que tout les peuples sont égaux devant Dieu.

Pour terminer Majid Oukacha avance que l’Islam empêche toute réflexion et est totalitaire dans son essence dans son imposition du culte et des dogmes. A certains égards, cette affirmation peut être légitime dans certaines régions du Monde Musulman, mais à côte de cela nombre de pays Musulmans sont libéraux et allient la raison et la sincérité dans la pratique et la foi.

Conclusion

Un article ne suffirait pas pour répondre à l’ensemble de son travail mais dans les grandes lignes nous avons pu voir et démystifier la structure de son raisonnement.

Si son expérience de l’Islam a été malheureuse, un nombre incalculable d’adeptes sont heureux de leur foi ainsi que de leur appartenance à la communauté Musulmane Mondiale. En réalité sa vision est révélatrice de trois symptômes qui minent le Monde Musulman :

– le fait qu’il soit proie à plusieurs invectives de la part des penseurs d’extrême droite qui nuisent à l’Image du Monde Musulman et de la Foi Musulmane, sans distinction des obédiences car le salafo-wahhabisme (et parfois le Khoméinisme) est leur fixation

– un besoin d’actualisation du corpus juridique Musulman en accord avec des hommes de fois et théologiens sincères au message originel

– un besoin de protection contre les déviances extrémistes alimentées par l’oligarche OTANaise

En définitive Majid Oukacha en voulant s’attaquer aux fondements de l’Islam comme il se l’est proposé a réveillé la communauté Musulmane et sa jeunesse à se pencher sur son message originel et l’histoire évolutive de sa doctrine pour une meilleure prise de conscience de son rôle à jouer.

Ozler ATALAY YÜKSELOĞLU – Auteur Alévi

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